Mardi 7 décembre 2010 : Visite d’Alep
Aujourd’hui, je consacre la journée à la découverte d’Alep. A cette heure matinale, les rues sont quasiment désertes. Cela change de la cohue de la veille ! Je traverse rapidement à pied le centre-ville, pour rejoindre l’immense citadelle. Perchée majestueusement sur une colline, elle possède de nombreux bastions et tours, reliés par une longue muraille. Malheureusement, elle est fermée le mardi. Vraiment pas de bol ! Je me rends alors dans le quartier chrétien situé plus au Nord. Les principales cathédrales et églises de la ville y sont regroupées. Un vieil homme m’ouvre les portes de l’église grecque orthodoxe. Puis, c’est une dame parlant français qui me fait visiter le grand édifice catholique. Un vrai moulin à paroles ! Fort heureusement, ses explications et anecdotes sont dans l’ensemble bien intéressantes. Je rejoins ensuite les souks de la vieille ville, à l’Ouest de la citadelle. Ils sont réputés dans tout le Proche-Orient. Des milliers de boutiques sont concentrées dans un dédale de ruelles couvertes et sombres. Elles sont regroupées plus ou moins par corps de métiers. On y vend vraiment de tout ! D‘un côté, ce sont les orfèvres ou les forgerons ; de l‘autre, les épiciers, les chausseurs ou les tailleurs… Quelques vendeurs tentent bien de me racoler, mais rien n’y fait ! Les souks renferment également de nombreuses cours et des caravansérails. Ceux de Khan al Wasir et Khan al Joumrok sont les plus imposants. Plusieurs mosquées sont également disséminées dans le quartier. La Grande Mosquée possède notamment une vaste cour, avec un joli minaret. A la périphérie des souks, deux anciennes portes médiévales sont encore visibles. Après ce bain de foule, je rentre tranquillement à l’hôtel. Autour de la tour de l’Horloge, quelques magasins vendent le traditionnel savon d’Alep, réputé dans le monde entier. Je pars ensuite manger sur le pouce dans la rue. Le fait de n’avoir pas visité la citadelle me chagrine. Du coup, j’hésite à reprendre la route demain matin !
Mercredi 8 décembre : Alep - Idlib (59,8 km)
Après avoir longuement réfléchi, je décide quand même de visiter la citadelle de la ville. Je ne tiens pas à avoir des regrets plus tard ! D’autant plus que je ne suis pas pressé ! Les portes n’ouvrant qu’à 9 h, je patiente en contemplant les mosquées et le hammam au pied de la colline. Le prix d’entrée est dix fois plus élevé pour un étranger. Pas très normal tout ça ! Un long pont enjambant le fossé permet d’atteindre un gros bastion défensif. La large cour intérieure renferme deux mosquées, un hammam et des ruines autour d’un théâtre. Située à l’étage supérieur du bastion d’entrée, la salle du trône possède un plafond magnifiquement décoré. Depuis les murailles, la vue sur Alep est splendide. Les toits plats des habitations se mêlent aux souks et aux minarets. Je rejoins ensuite rapidement l’hôtel pour déguerpir. Avec le poids du chargement, la béquille de mon vélo casse d’un coup. En vérité, j‘ai oublié de la retirer en descendant la haute bordure du trottoir. Pas vraiment malin ! Je trouve mon chemin en me fiant à mon sens de l’orientation, plutôt qu‘aux indications des citadins. Aussi, les klaxons et les signes amicaux reprennent de plus belle. A la périphérie de la ville, je pique-nique sur un banc dans une petite forêt de résineux. Trois Syriens m’invitent amicalement à boire le thé avec eux. La route traverse ensuite une vaste plaine agricole, relativement plate. De nombreuses femmes travaillent dans les champs et les plantations. J’arrive ainsi rapidement aux abords d’Idlib. A cause de l’heure tardive, je préfère ne pas traverser la ville aujourd’hui. J’installe la tente dans une plantation d’oliviers, juste derrière un bâtiment en construction. Il risque de faire bien froid cette nuit !
Jeudi 9 décembre : Idlib - Apamée (93,1 km)
La journée commence avec le traditionnel thé, en compagnie des pompistes d’une station-service. Puis, je traverse rapidement Idlib sans réel intérêt. La route grimpe dans des collines jusque 700 mètres d’altitude environ. Cela n’arrête pas de faire le yoyo à travers les immenses plantations d’oliviers. J’emprunte ensuite une route secondaire en direction d’Al Bara. Les panneaux indicateurs sont tous écrits en arabe. Du coup, il me faut souvent demander de l’aide aux villageois du coin. A chaque fois, c’est l’attroupement autour de moi ! Tout le monde veut aider le Frenchie ! Une vraie célébrité, le Vincent ! A l’approche de la petite ville, le paysage devient beaucoup plus rocailleux. Des murets en pierres séparent les champs labourés et les quelques plantations d’arbres. A Al Bara, je bifurque sur quelques kilomètres vers le site de Sergilla. Cette ville morte date du 5ème S. Elle est composée de bâtiments en ruines bien préservés. Je découvre notamment les bains alimentés par une grosse citerne, et les vestiges de l’église. Les fouilles des habitations ont également mis à jour des cuves et des pressoirs. Je mange un morceau sur un banc près du guichet, à l’ombre du soleil brûlant. Puis, je rejoins Al Bara par le même chemin. Les nombreux camions qui me dépassent ont leur benne débordant de branches d’oliviers. A la sortie de la ville, plusieurs ruines jalonnent encore mon parcours. La route descend ensuite progressivement vers Kafr Nabil dans une forêt de conifères. Quelques kilomètres plus loin, je me retrouve un peu paumé au beau milieu de vastes champs agricoles. Je soupçonne les gens de m’avoir aiguillé dans une mauvaise direction. En général, les personnes préfèrent mal me renseigner, plutôt que de faire voir qu’ils ne comprennent pas. Aussi, certains ne savent lire que l’arabe, alors que ma carte est en écriture latine. Je me fis alors au soleil pour m’orienter. A chaque village traversé, c’est toujours le même scénario. Les klaxons, les «hello» des enfants et les appels fusent de partout. Cela tourne à l’hystérie ! En cette fin de journée, cela commence à devenir agaçant ! Quelques ados me suivent même en scooter. Rien de bien méchant, mais pas moyen de pédaler tranquillement ! A l’avenir, il faudra prévoir un bras articulé sur le vélo pour saluer tout le monde ! De nombreux nomades, avec leurs troupeaux de moutons, sont également installés dans la région. A quelques kilomètres d’Apamée, je plante la tente derrière une pompe pour l’irrigation des champs. La nuit tombée, plusieurs chiens errants rôdent autour du bivouac.
Vendredi 10 décembre : Apamée -Hama (69,1 km)
Lorsque je décampe, les villageois s’activent déjà à ramasser les pommes de terre dans les champs. Je rejoins directement le site de l’antique Apamée. Il est situé à côté de l’imposante citadelle de Qalaat al Moudiq, perchée sur une colline. A l’Ouest, le djebel Ansarié se profile derrière la brume de chaleur. Une série de colonnes sont alignées en pleins champs, sur une longueur de 2 km. Vraiment impressionnant ! Certaines possèdent de superbes chapiteaux sculptés. Les thermes adjacents sont par contre en ruines. Je prends ensuite la direction d’Hama sur une nationale encombrée. Au fil des heures, le soleil matinal disparaît peu à peu sous les nuages. A part quelques petites côtes, la route ne présente pas de difficulté. J’atteins ainsi aisément Cheizar. La petite ville possède un château perché sur une falaise, dominant la plaine de l’Oronte. Le fleuve est malheureusement submergé de détritus. Bonjour la pollution ! Je pique-nique sur les berges du cours d’eau, à côté de deux norias. Il s'agit de grandes roues en bois, qui permettaient autrefois de pomper l’eau pour irriguer les champs. Je poursuis mon chemin dans un paysage plat, assez monotone. A Hama, je peine à trouver la vieille ville. Après avoir longuement tourné en rond, un jeune Syrien finit par m’indiquer la bonne direction. Je me balade alors rapidement autour du palais Azem et des norias qui bordent l’Oronte. A cause de l’heure avancée, je préfère réserver une chambre à l’hôtel Ryad, près de la tour de l’Horloge. Je file ensuite manger un morceau bien gras dans un boui-boui. Plus loin dans une pâtisserie, je ne manque pas de goûter le halawat al jibné. Il s’agit d’une crêpe fourrée de fromage blanc, trempée dans du miel. Un délice ! Un orage éclate dans la soirée. Je pense avoir fait le bon choix pour cette nuit !
Samedi 11 décembre : Hama - Hazzour Alseheyeh (63,2 km)
Ce matin, il pleut encore. Quelle poisse ! Je pars quand même me balader à pied dans la vieille ville. Les majestueuses roues en bois des norias tournent encore avec le courant du fleuve. La ruelle qui borde l’Oronte renferme de vieilles habitations, un hammam et la mosquée Al Nouri. A cette heure matinale, l’édifice musulman est malheureusement fermé. Je grimpe ensuite sur le tell antique pour la vue nébuleuse sur Hama. Autrefois, une citadelle était perchée sur cette basse colline. De nos jours, il ne reste rien ! A cause du mauvais temps, je décide de visiter le palais Azem. Il possède deux jolies cours avec une fontaine centrale. L’une d’elles est agrémentée d’un splendide portique à quatre colonnes, qui précède une grande salle merveilleusement décorée. Le gardien, qui me suit à la trace, m’interdit cependant les photos à l’intérieur. Derrière un hammam, la cour de la salle de réception est dallée avec du superbe marbre. L’accalmie tant attendue n’arrivant pas, je reprends la route en direction de Missiaf. La météo est vraiment exécrable. Les averses me trempent rapidement des pieds à la tête. De plus, un vent violent souffle d’Ouest. Et forcément, je le prends en pleine poire ! Ma vitesse est par conséquent très réduite. Le paysage est complètement noyé dans un brouillard de pluie. Par endroits, les collines rocailleuses sont parsemées de champs labourés, ou boisées de conifères. Les fortes bourrasques finissent par me saper le moral. Mes doigts de mains et de pieds sont complètement engourdis. Je peste contre ce mauvais temps qui s’acharne sur moi. Frigorifié, je mange rapidement un morceau derrière un minuscule bâtiment renfermant un four à bois. Puis, les ruines du château médiéval de Missiaf apparaissent enfin. Il est perché sur un éperon rocheux, à la pointe Sud du djebel Ansarié. Le ciel gris donne un côté assez lugubre à la petite ville. Du coup, je ne m’y attarde pas ! La route en direction du Krak des Chevaliers oscille à flanc de montagnes, autour de 700 mètres d‘altitude. Les côtes sont parfois bien pentues ! Dans les villages traversés, la plupart des maisons ont leur façade peinte de la même couleur. Malgré le ciel gris, mon trajet offre de jolies vues sur la plaine en contrebas. Je bifurque ensuite sur un sentier pour installer le campement. La pluie redouble d’intensité lorsque je monte la tente. Le terrain devient vite un vrai bourbier. En plus du vent et des averses, des éclairs jaillissent de partout. C’est le déluge !
Dimanche 12 décembre : Hazzour Alseheyeh - Krak des Chevaliers (27,7 km)
La nuit a été effroyable ! Les averses, les bourrasques, les éclairs et le tonnerre n’ont jamais cessé. Mon frêle abri patauge dans une grosse flaque d’eau. Tout est trempé ! Forcément, mes vêtements sont encore mouillés lorsque je me rhabille. La route continue de grimper à plus de 1000 mètres d’altitude, traversant quelques villages chrétiens. Les pentes atteignent parfois plus de 12 %. Ce qui me casse rapidement les jambes ! D'un coup, un chien agressif me poursuit dans la montée. Fort heureusement, un motard m’aide à le faire fuir. Une nouvelle fois, le temps est complètement pourri. L’eau de pluie ruisselle sur la chaussée. Des grêles finissent même par tomber. Elles me cinglent violemment le visage. Je pédale la tête dans le guidon, en jetant de temps à autre un coup d’œil sur le paysage embrumé. Cette route, qui devait être magnifique, devient pour moi un vrai supplice. Puis dans la descente, mes freins ne répondent plus. Les doigts gelés, je retends les câbles tant bien que mal. Un peu plus loin, je suis tout heureux d’apercevoir le somptueux château du Krak des Chevaliers, perché sur les hauteurs. Je déploie alors de gros efforts pour rejoindre l’hôtel «La Table Ronde» au pied de l’édifice. Après avoir mangé, je pars visiter la forteresse construite par les croisés. Deux immenses enceintes sont séparées par un large fossé, avec un bassin qui servait à l’alimentation en eau. Elles sont flanquées de tours et d’un donjon, servant pour la protection contre les éventuels envahisseurs. La cour intérieure renferme entre autres une vaste salle servant d’écurie, une chapelle transformée en mosquée par les musulmans, et une pièce voutée précédée d’une jolie galerie. Malgré le mauvais temps, la vue sur la trouée d'Homs depuis le sommet des tours reste remarquable. L‘heure de la fin de visite approchant, le guichetier me presse de sortir. Un peu trop expressément à mon goût ! Après quelques courses, je rejoins la chambre de l’hôtel. Malgré le manque de chauffage, j’étale quand même mes affaires pour tenter de les faire sécher. Dans la soirée, l’orage provoque une longue coupure de courant. Il pleut encore et toujours ! Demain, il me faut rejoindre Homs pour retrouver ma soeur Céline et Jérôme, qui passent une semaine de vacances en Syrie. A moins que je ne les attende au Krak !
Lundi 13 décembre : Krak des Chevaliers - Homs (49,2 km)
Durant la nuit, les éclairs ne sont vraiment pas tombés loin ! L’orage a tournoyé autour du massif montagneux. Je retourne à pied à proximité de la forteresse, pour tirer quelques clichés entre deux averses. Puis, je redescends longuement vers la trouée d’Homs, sur une petite route zigzaguant dans les basses montagnes. Il vaut mieux avoir de bons freins, car les pentes sont extrêmement raides ! Je rejoins ensuite l’autoroute qui longe le Nord du Liban. En Syrie, il n’est pas interdit de les emprunter à vélo ! Je pédale sur le bas-côté, éclaboussé par les gros camions qui me dépassent. Comme si, je n’étais déjà pas assez trempé ! Pour une fois, le vent me pousse vers mon objectif. En début d'après-midi, je m’arrête dans une minuscule pinède pour casser la graine, non loin d‘une petite entreprise. A peine installé, quelqu’un vient prendre de mes nouvelles. Puis, ce sont deux autres qui rappliquent. Je bois finalement le thé en leur compagnie, bien au chaud autour d’un poêle à charbon. Il ne me reste alors qu’une bonne quinzaine de kilomètres pour atteindre Homs. A la périphérie de la ville, je tire en photo un banal camion bien décoré. Deux hommes viennent alors à ma rencontre, se prétendant être de la police. A cause de ma réticence à présenter mon passeport, ils me font voir une carte complètement délavée. J’ai bien du mal à les croire, ce sont peut-être de faux policiers ! C'est alors qu'un troisième larron me montre un fusil semi-automatique. Sous la contrainte, je finis par embarquer avec mon vélo dans leur camionnette pourrie. A ce moment, il faut admettre que je ne suis pas trop rassuré. D'autant plus que l'atmosphère est assez tendue ! Ils m’emmènent alors dans un bâtiment de la ville, protégé par des barbelés et des miradors avec des gardes armés. Après un court séjour en cellule, je passe deux bonnes heures dans un bureau à être questionné sur mon parcours, les raisons de mon séjour en Syrie… etc. Mon passeport est examiné plusieurs fois à la loupe. Un procès-verbal est même établi ! C’est complètement fou, ils me soupçonnent d’espionnage à cause de mes photos ! Un espion à vélo, on aura tout vu ! J’ai l’impression de rêver ! Finalement, ils me relâchent à la tombée de la nuit. Assez énervé de ce contretemps, je me balade autour du souk de la ville, le vélo à la main. Puis, je prends un café dans un établissement de fumeurs de narghilé, en attendant Céline et Jérôme. Après les retrouvailles, nous nous installons dans l’hôtel Raghdan. Nous finissons la soirée dans un restaurant à déguster des spécialités orientales : tabboulé, hommos, kebbé et autres. Cela fait vraiment plaisir de les retrouver, et de pouvoir enfin discuter en français !
Mardi 14 décembre : Excursion à Palmyre
Après le déjeuner, Céline, Jérôme et moi prenons un taxi jusque la gare routière. Aujourd’hui, le vélo et les sacoches restent à l’hôtel ! Sur place, plusieurs personnes nous informent du nombre limité de car en partance pour Palmyre. Un gars nous propose de nous y amener avec son propre véhicule. Forcément, c’est beaucoup plus onéreux que les minibus ! Après de longues hésitations, nous acceptons finalement son offre. Cela nous fait gagner quand même pas mal de temps ! Notre chauffeur roule très rapidement jusqu’au site. La route traverse un désert rocailleux à la végétation basse et éparse. Quelques tentes de bédouins sont éparpillées dans cette contrée aride. Après deux bonnes heures de trajet, nous apercevons enfin la citadelle arabe perchée sur un promontoire rocheux. La visite de l’édifice n’est pas des plus intéressante, mais la vue sur le site et les montagnes depuis les remparts vaut vraiment le coup d’œil. Palmyre est bordé d’un grand oasis planté de nombreux palmiers. La ville est le principal producteur de dattes en Syrie. D’ailleurs, on ne se prive pas pour y goûter ! Nous nous rendons ensuite aux différents tombeaux, situés plus à l’Ouest. Les défunts étaient superposés dans des tours funéraires de plusieurs étages (comme le tombeau d’Elhabel), ou dans des salles souterraines (comme l’hypogée des Trois Frères). Notre chauffeur nous emmène ensuite au petit théâtre, puis au sanctuaire de Bêl. Ce dernier est le plus grand monument de Palmyre. Une vaste esplanade, où l’on sacrifiait les animaux, précède le splendide sanctuaire. Le plus énervant, c'est qu'il faut payer à chaque fois l’accès aux monuments ! Puis, nous mangeons rapidement dans un snack attrape-touristes. En effet, le patron ne s’est pas privé pour augmenter ses tarifs ! Cela devient insupportable d‘avoir l‘impression de se faire arnaquer ! Nous nous baladons ensuite le long de la grande colonnade, qui s’étend sur plus d’un kilomètre de long. Elle borde les ruines de nombreux édifices, notamment l’agora et le tétrapyle. Ce gigantesque site de Palmyre est vraiment merveilleux ! Après cette belle balade, nous retrouvons notre chauffeur pour rentrer sur Homs. Sur la route du retour, les nuages se parent des couleurs rougeâtres du soleil couchant. Vraiment magnifique ! Notre conducteur roule comme un fou, à grande vitesse et sans éclairage correct. Nous sommes ainsi tout heureux d’arriver à destination sain et sauf ! Il a même le culot de nous réclamer un bakchich ! Nous parcourons ensuite les rues de la ville, à la recherche d’un troquet pour boire une bière. Rien, pas d’alcool dans cette ville, que des boutiques de fringues ! Nous pénétrons alors dans un grand café pour fumer le narghilé. L’endroit n’est fréquenté que par des hommes. A cause du manque d’établissements, nous mangeons dans le même restaurant que la veille. Décidemment, Homs ne propose pas grand-chose ! Ce n’est pas une ville pour moi !
Mercredi 15 décembre : Homs - Massif de Qalamoun (105,5 km)
Après le déjeuner à l’hôtel, je poursuis mon parcours à vélo en direction de Damas. Céline et Jérôme prennent le bus pour visiter Alep. Normalement, nous nous retrouverons dans la capitale syrienne dans deux jours. Je préfère emprunter l’autoroute pour m’y rendre plus directement. De plus, les larges bas-côtés sont beaucoup plus sécurisants que certains axes secondaires ! Afin de masquer le bruit du trafic routier, je pédale tout en écoutant de la musique. C’est d'ailleurs le cadeau de la famille pour mon anniversaire ! La route grimpe tout doucement dans le massif du Qalamoun, sur le contrefort oriental de l’Anti-Liban. Les sommets des montagnes sont complètement enneigés. Après une petite cinquantaine de kilomètres, je casse la croûte à l’ombre d’un bosquet de sapins. Avec l’altitude, la végétation disparaît peu à peu. Le paysage devient complètement désertique. A partir de 1200 mètres, quelques plaques de neige commencent à apparaître sur le sol pierreux. Sûrement les résidus de la tempête de ce dimanche… que je pense ! Je commence à m’inquiéter lorsqu’elles deviennent de plus en plus nombreuses avec l’altitude qui n’arrête pas de grimper. Aux alentours de 1400 mètres, le paysage est quasiment sous la neige. Et comble de malchance, le soleil est déjà couché derrière les montagnes. Malgré le froid piquant, je décide d’installer la tente au bout d’un sentier, sur une parcelle de terrain dégagée. Mes pneus de vélo ne tardent pas à se maculer de boue. Impossible d’avancer, quelle poisse ! Il me faut alors faire plusieurs allers-retours les sacoches à la main. Cette nuit, la température va certainement descendre en dessous de zéro. Il va falloir bien se couvrir !
Jeudi 16 décembre : Massif de Qalamoun - Damas (83,3 km)
Comme prévu, la nuit fut glaciale. C’est pourquoi j’attends un bon moment avant de m’extraire de mon gros duvet ! Pendant le démontage de la tente, un arceau casse net en deux. Sûrement à cause du froid ! Après quelques bénignes réparations mécaniques, je poursuis mon chemin sur l’autoroute. Quelques kilomètres plus loin, je bifurque vers Maalouda. La route secondaire grimpe fortement de plus de 300 mètres, vers les hauts plateaux du Qalamoun. Les maisons bleues et blanches du village s’étagent sur les parois des montagnes. La population parle encore l’araméen, qui était la langue du Christ. Je pique-nique à côté d’une église, avant d’entamer la visite. Le village possède deux couvents perchés sur les hauteurs. Celui de Ste Thècle renferme une grotte, où la Sainte aurait vécu plus de 70 ans. Je rencontre ensuite trois personnes francophones m’indiquant qu’il est possible de traverser l’étroit défilé à vélo. Après plusieurs centaines de mètres, des escaliers m’empêchent de poursuivre. Du coup, j’abandonne la visite du couvent de St Serge, et fais demi-tour ! Il me reste quand même une petite soixantaine de kilomètres pour rejoindre Damas. A cause de l’heure avancée et des routes de montagne en mauvais état, je rejoins la grosse autoroute. Elle descend longuement vers la capitale. Soudain, les bas-côtés disparaissent sur quelques kilomètres. Les trous et les bosses de la chaussée manquent alors de me faire perdre le contrôle de mon vélo. Au loin, la nationale parallèle est surchargée de dangereux poids lourds. Mon choix s'est avéré judicieux ! J’atteins enfin les faubourgs de la ville, alors que la nuit commence à tomber. J’attends Céline et Jérôme de retour d’Alep, en sirotant du thé (une fois de plus !) dans un café à proximité de notre hôtel Al Haramein. Aussi, ce dernier penche dangereusement à l’étage. Puis, nous partons manger ensemble dans un restaurant de la vieille ville. Les plats servis sont à profusion. Tant et si bien que nos panses se remplissent rapidement. Malheureusement, de nombreux restes de nourriture sur les tables finissent à la poubelle. Du vrai gaspillage ! L’ambiance orientale est assurée par un petit orchestre. La musique devient vite soûlante pour nous. Par contre, elle fait danser de nombreux Syriens. Un type fait même tomber un calibre en gesticulant !
Vendredi 17 décembre : Visite de Damas
Céline, Jérôme et moi partons à la découverte de la vieille ville de Damas. Les souks sont bien déserts aujourd'hui ! En effet, le vendredi est le jour de repos en Syrie. De nombreux édifices religieux ont également leurs portes closes. C’est pourquoi nous filons rapidement au palais Azem. Construite au 18ème S, cette magnifique résidence renferme deux cours intérieures ombragées. Le haremlik était réservé au pacha et à sa famille, tandis que le salemlik servait pour les réceptions. Elles sont entourées d’appartements somptueusement meublés et décorés. Nous partons ensuite dans un quartier qui renferme de belles demeures bourgeoises (bayt). Elles sont malheureusement en travaux pour devenir de riches hôtels. L’accès est interdit au public pendant un minimum de trois ans ! Avec un bakchich, le gardien nous fait pénétrer dans l’une d’elles. L’édifice est vraiment superbe. Il possède de belles boiseries décorées et divers ornements sculptés. Nous rejoignons ensuite le quartier chrétien de la ville. Quelques vestiges romains et églises se succèdent le long de la rue Droite. On a vraiment l’impression d’avoir changé de pays ! Aussi, les rues sont plus propres, et les bâtiments beaucoup mieux entretenus. Nous visitons ensuite la chapelle St Ananias, édifiée sur la demeure du Saint qui rendit la vue à Paul. Pas vraiment emballant ! Dans un petit troquet du quartier, nous mangeons sur le pouce… avec enfin de la bière ! L’addition est quand même bien salée par rapport au maigre repas servi ! A travers d’étroites ruelles commerçantes, nous rejoignons la splendide mosquée des Omeyyades dominée par ses trois minarets. Une vaste esplanade précède une grande salle des prières, qui abrite le tombeau de St Jean-Baptiste. De merveilleuses mosaïques du 8ème S décorent le côté Ouest de la cour. En ce jour férié, de nombreuses familles fréquentent le lieu. Les gamins courent partout ! A côté de l’édifice religieux, un mausolée renferme la dépouille de Saladin, grand combattant des croisés. Nous dégustons ensuite du m’hallayeh au célèbre glacier Bakdache. Il s’agit d’une sorte de sorbet sans goût, arrosé de pistaches et d’amandes grillées. Bof ! Nous fumons ensuite le narghilé avec du thé, dans un café du souk Bzouriyé. L’endroit est rendu original par la présence d’un curieux conteur arabe. Dans la soirée, nous soupons dans un petit restaurant oriental de la nouvelle ville, non loin de l‘hôtel.
Samedi 18 décembre : Visite de Damas
Aujourd’hui, Céline et Jérôme reprennent l’avion pour la France. Nous nous quittons sous le coup des 9 h. Je me rends ensuite dans les souks de la ville, à la recherche d’un embout pour réparer l’arceau de ma tente. Pas facile de se faire comprendre lorsque l’on ne parle pas l’arabe ! Dans un petit atelier, je bricole un bout de tuyau de cuivre, et le tour est joué ! A l’inverse de la veille, les ruelles sont remplies de monde. Depuis mon entrée en Syrie, les gens se laissent plus facilement photographier. Surtout les hommes ! Je poursuis la visite de Damas par le Bimaristan al Nouri. Cet ancien hôpital du 12ème S abrite un modeste musée de la médecine. Je paye à nouveau l’entrée de la mosquée des Omeyyades, pour tirer quelques clichés sous le soleil. Je me rends ensuite à la mosquée persane Rouqayya. Sa salle de prière est décorée de miroirs, de céramiques et d’émaux étincelants. Un groupe de fidèles lancent des incantations, tout en se frappant la poitrine. Assez impressionnant ! Je déambule ensuite dans les ruelles étroites du quartier musulman pour rejoindre les souks. Par endroits, les odeurs de café et d’épices se mêlent aux parfums des plantes et des fleurs. Le caravansérail Assad Pacha possède une magnifique cour intérieure, surmontée de neuf dômes s’appuyant sur de gros piliers. Je traînaille ainsi jusque la tombée de la nuit dans la vieille ville. Certains bâtiments historiques sont toujours fermés ! Je rejoins ensuite la jolie gare du Hedjaz et le souk de l’artisanat, situés dans la ville moderne. Ce dernier est installé dans une jolie école coranique (madrasa), à côté de la takiya Soulaymania. Ce couvent de derviches du 16ème S ressemble aux mosquées turques. Il est malheureusement fermé à cause des travaux de rénovation. Je mange ensuite dans la rue, avant de rentrer à l’hôtel. Demain, je reprends la route vers le Sud de la Syrie.
Dimanche 19 décembre : Damas - Izra (100,8 km)
Avant le départ, je discute longuement avec un couple suisse qui parcourt l’Europe et le Proche-Orient à vélo. Après une dernière photo devant la mosquée des Omeyyades, je quitte Damas sur une route encombrée de toutes sortes de véhicules. C’est vraiment la jungle ! De plus, les panneaux indicateurs sont plutôt rares. Du coup, je me retrouve sur la nationale qui part directement vers Deraa. A Kissoué, un motocycliste m’encourage à poursuivre dans cette direction pour rejoindre le site de Bosra. J’aurais préféré pédaler plus à l’Est en direction du djebel Druze, mais tant pis ! La route est complètement plate. Elle traverse dans un premier temps la coulée basaltique de la Ledja. Cependant, le sombre paysage rocailleux est masqué par une légère brume. Je pique-nique juste avant le village de Ghabaqhib, en compagnie d’un jeune Syrien intrigué. La région devient ensuite plus agricole. De nombreux bédouins campent à proximité des champs et des plantations d’oliviers. Les autochtones n’ont vraiment pas l’air heureux de me voir tirer des clichés. Un homme sort même de son camion pour me questionner. Depuis ma mésaventure à Homs, je reste assez méfiant ! C’est quand même bien pénible de se sentir constamment surveillé ! Le coin est truffé de zones militaires. En effet, le plateau du Golan en Israël n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres. En fin d’après-midi, je bifurque vers Izra plus à l‘Est. La vieille ville renferme deux belles églises bien conservées. Un habitant part chercher le curé Elias pour m’ouvrir les portes de la paroisse catholique… St Elias. J’ai même droit à une visite détaillée de l’édifice en français. Il fait presque noir, et je dois trouver rapidement un endroit pour dormir ! Après réflexion, l’homme d’église me propose de loger chez lui. Il me présente sa femme Antoinette et ses trois enfants. A l’inverse de nombreux pays, les prêtres en Syrie ont droit au mariage ! Elias doit cependant informer les autorités administratives de la présence d’un étranger dans sa demeure. Encore de la surveillance ! Mes hôtes m’offrent sandwichs, thé, café et même une petite liqueur, en guise de repas. Je pars enfin me coucher dans une pièce en face de l’habitation principale.
Lundi 20 décembre : Izra - Seda (94 km)
A 8 h, le curé Elias vient me chercher pour assister à la messe en arabe. Il n’y a vraiment pas foule, seule une dame nous a rejoint ! Il m’invite ensuite à manger avec lui. Le déjeuner est identique au souper de la veille, mais sans la goutte ! Vers 10 h, je quitte ma famille d’accueil, en direction de l’église grecque orthodoxe St Georges. Une villageoise vient rapidement m’ouvrir les portes. L’intérieur de l’édifice religieux est de forme octogonale, enserré dans un bâtiment carré. La coupole est soutenue par les huit piliers. La plupart des bâtiments de la vieille ville sont construits avec des pierres de basalte. Ce qui rend les façades bien sombres ! J’emprunte ensuite l’autoroute pour rejoindre au plus vite le site de Bosra. Tout à coup, un camion me surprend en me dépassant. Le poids des câbles qui dépassent de la benne risque de le faire basculer à tout moment. Le chauffeur est complètement inconscient ! Je pédale alors à vive allure jusqu’à la sortie du village de Seda. La nationale qui part vers l’Est traverse de nombreuses plantations d’oliviers. Elle grimpe légèrement durant une grosse vingtaine de kilomètres. A l’approche de Bosra, un vent de face se lève d’un coup ! Cela commence à me taper sur les nerfs ! La ville possède un superbe amphithéâtre romain du 2ème S, enfermé dans une forteresse haute et sombre. Il pouvait accueillir jusqu’à 8000 personnes ! Depuis le sommet des gradins, la vue plongeante sur la scène ensoleillée est splendide. Elle possède plusieurs colonnes surmontées de magnifiques chapiteaux. Je me balade ensuite dans l’ancien village, pour découvrir de nombreux édifices en ruines. Palais, mosquées, hammams, cathédrale et basilique se succèdent le long de mon parcours. Les rues pavées sont également bordées de nombreuses colonnes debout ou couchées. L’endroit est intéressant, mais la horde de gamins qui me suit à la trace finit par être agaçant. Tous les 10 mètres, on me demande mon nom, ma nationalité, ou je ne sais quoi d’autres ! C’est juste pour poser une question en anglais, car ils se foutent complètement de la réponse ! Après avoir mangé un morceau, je reprends la même route en sens inverse. Le soleil commence déjà à disparaître sous l’horizon. Une vingtaine de kilomètres plus loin, je m‘installe dans un bosquet d‘arbres en bordure de l‘autoroute. C‘est bruyant, mais au moins je suis bien planqué !
Mardi 21 décembre : Seda - Thaghrat Usfur (JORDAN) (53,5 km)
Lors du démontage de la tente, l’arceau réparé casse à nouveau. De plus, je constate des fêlures à d’autres endroits. Cela risque de ne plus tenir très longtemps ! Il va falloir que je solutionne cela à Amman ! Du coup, je démarre l’étape plus tard qu’à l’accoutumée. Je traverse la petite ville de Deraa, afin de rejoindre la frontière jordanienne. Le prix de la taxe de sortie a bizarrement doublé. Par contre, les formalités pour l’obtention du visa jordanien sont très rapides. Comme en Syrie, il y a des affiches de leaders politiques partout ! Je pédale dans un paysage de collines désertiques, parsemées de quelques plantations d’oliviers. Au premier abord, le pays est beaucoup plus propre que son voisin. Les voitures polluantes se font également plus rares. Je pique-nique à l’ombre d’un arbre, juste avant la petite ville de Balila. Puis, la route grimpe doucement de plus de 400 mètres dans des basses montagnes. Aussi, un pompiste m’invite à m’asseoir pour discuter au bord de la chaussée. Aujourd’hui, c’est chômage forcé pour lui, car la station n’a plus une goutte d’essence. A cause de l’heure déjà bien avancée, je décide de visiter le site de Jérash demain matin. C’est pourquoi je stoppe prématurément au sommet de la montagne dominant la ville. Je plante alors la tente dans une sorte de carrière en surplomb de la route. Après le coucher du soleil, Jérash commence à s’illuminer.
Mercredi 22 décembre : Thaghrat Usfur - Amman (62,2 km)
Le soleil est à nouveau au rendez-vous. Les montagnes boisées de pins baignent cependant dans une brume de chaleur. La route plonge longuement vers la petite ville de Jérash. Immédiatement, je me rends au site archéologique romain. Aimablement, la police touristique garde mon vélo durant la visite. Sereinement, je me balade à pied dans les ruines de l’antique Gerasa. Temples, théâtres et églises sont édifiés autour d’une longue colonnade pavée de grosses pierres. Elle commence à partir d’une étrange place ovale, entourée également de colonnes. Le lieu est vraiment fantastique. Par contre, le petit musée archéologique ne présente pas grand-chose. Je reprends la route sous le coup de midi. Elle continue sa folle descente jusqu’au fond de la vallée, où coule la petite rivière King Talal Dam. Avant d’entamer la remontée, je finis mes maigres restes de nourriture à l’ombre d’un olivier. La grimpette est longue, très longue ! Au départ, les pentes ne sont pas très élevées. Elles augmentent sur le final, atteignant 12 % sur certaines portions. Je reprends ainsi plus de 700 mètres de dénivelé. Naïvement, je pensais descendre sans effort jusque la capitale jordanienne. Pas du tout, la route regrimpe les collines environnantes d’Amman ! Les pentes sont terribles. De plus en cette fin de journée, les jambes commencent à devenir bien lourdes. De nombreux camions peinent tout autant que moi ! Du coup, il fait presque noir lorsque j’arrive dans les faubourgs de la ville. Je loue une modeste chambre dans l’hôtel Riviera, situé dans le quartier de Downtown. Pas vraiment génial, mais pour le prix, on ne va pas se plaindre ! Un ami du gérant m’accompagne ensuite dans la ville, afin de dégotter un embout pour mon arceau de tente. Après avoir sillonné tout le quartier, nous rentrons bredouille. Je pars ensuite manger dans un boui-boui, à proximité du théâtre antique. Sur le chemin du retour, je retrouve par hasard un cyclo belge rencontré à Damas. Je crois ensuite rêver, lorsque j’aperçois un café servant de la bière. Miracle ! Il faut dire que je suis à la diète depuis plusieurs jours ! De plus, la télévision diffuse le match de Lens face aux Bordelais dans le championnat de France de football. C’est cool !